Intervenants

Yingvild Aspeli, metteuse en scène, comédienne, marionnettiste

Elle présente à la Semaine d’art en Avignon Moby Dick, d’après Herman Melville

En 1851, Herman Melville publie Moby Dick, l’histoire de la traque insensée d’une baleine blanche par un homme, le capitaine Achab, d’une quête éperdue et obsessionnelle qui entraînera l’équipage du Pequod à sa perte. Si l’œuvre n’a jamais quitté les mains de générations de lecteurs épris d’aventures, c’est que son récit initiatique se pare également d’un certain mysticisme. Face à cet espace mythologique qui unit l’homme à la bête, la bête à la nature, l’homme à l’insondable, la metteuse en scène et plasticienne Yngvild Aspeli a imaginé des jeux d’échelles et des myriades de marionnettes à l’image de la puissance des océans. Baleine blanche insaisissable, personnages démesurés, vidéo surprenante, c’est tout un univers poétique qui se déploie au plateau. Entourée de sa compagnie Plexus Polaire qu’elle aime nommer sa « Babel flottante », Yngvild Aspeli pose la question du destin et propose une traversée trouble et mystérieuse.

Yingvild Aspeli est metteuse en scène, comédienne et marionnettiste d’origine norvégienne. Après une formation à l’École internationale de théâtre Jacques Lecoq puis à l’École nationale supérieure des arts de la marionnette (ESNAM) à Charleville-Mézières, elle dirige depuis 2008 la compagnie Plexus Polaire et crée Signaux, Opéra opaque, Cendres et Chambre noire. Dans ses mises en scène, les acteurs sont aussi marionnettistes, en mêlant la lumière, la musique et la vidéo, le langage devient visuel.

Moby Dick ou la recherche du dieu des profondeurs

Sylvain Venayre, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Grenoble-Alpes

Monument de la littérature universelle, Moby Dick fait l’objet d’innombrables adaptations. La quête du capitaine Achab, parti à la recherche de la baleine blanche, est aujourd’hui très connue, de même que certains épisodes phares du livre (la rencontre d’Ismaël et Queequeg, le doublon d’or cloué sur le mât du Pequod, etc.). Mais le roman recèle bien d’autres mystères. Pour Melville les planches du navire étaient celles d’un théâtre, les acteurs de sa pièce empruntaient autant à la Bible qu’à Shakespeare et le cachalot blanc des profondeurs était une image du mystère divin.

Sylvain Venayre est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Grenoble-Alpes. Il a notamment publié La Gloire de l’aventure (Aubier, 2002), Panorama du voyage (Les Belles Lettres, 2012), Les Origines de la France (Le Seuil, 2013), Une guerre au loin (Les Belles Lettres, 2016) et, en collaboration avec le romancier Thomas B. Reverdy, Jardin des colonies (Flammarion, 2017). Il a également dirigé, avec Pierre Singaravélou, Histoire du monde au XIXe siècle (Fayard, 2017) et Le Magasin du Monde (Fayard, 2020). Il est par ailleurs scénariste de bandes dessinées, auteur notamment de L’Ile au trésor (avec Jean-Philippe Stassen, Futuropolis, 2012), Milady ou le mystère des Mousquetaires (avec Frédéric Bihel, Futuropolis, 2019) et À la recherche de Moby Dick (avec Isaac Wens, Futuropolis, 2019) et directeur de l’Histoire dessinée de la France, dont il a écrit le premier volume, La Balade nationale, avec Étienne Davodeau (La Découverte/La Revue dessinée, 2017).

Jean Bellorini, metteur en scène

Il présente à la Semaine d’Art en Avignon Le Jeu des ombres, de Valère Novarina

Les cendres qui recouvrent le plateau rappellent qu’Orphée est entre deux mondes. L’adaptation de Valère Novarina est insolente, drôle, organique et toujours vivace. Les personnages sont des damnés, une communauté d’âmes en peine, qui attend, se souvient de ce qu’a été la vie. La création superpose le fantôme de la voix unique chère à Claudio Monteverdi et la multitude d’âmes errantes qui traversent l’œuvre colorée du dramaturge. Pour Jean Bellorini, dans un monde devenu Enfer, cet Orphée est « un chœur d’âmes » dont la parole, dans ses nuances et ses évocations, est aussi riche que la musique.
Mais pourquoi Orphée se retourne-t-il alors qu’il sait ?

Formé à l’École Claude Mathieu, Jean Bellorini fonde sa propre compagnie en 2001. En 2014, il reçoit un Molière pour La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht et prend la direction du Théâtre Gérard Philipe qu’il quitte en 2019 quand il est nommé à la tête du Théâtre national populaire de Villeurbanne. Pour lui la musique est indissociable du travail de mise en scène. Comédiens et chanteurs se partagent la scène pour interroger la puissance de la parole. C’est la seconde fois qu’il est programmé au Festival d’Avignon (Karamazov en 2016 à la Carrière Bourbon) et qu’il monte un texte de Valère Novarina.

L’amour cet impossible : deux figures littéraires, le social et le psychologique

Georges Vigarello, historien, directeur d’étude à l’EHESS

L’amour impossible peut incarner un obstacle classique, sinon banal, des relations humaines. Plusieurs figures littéraires en démultiplient les exemples. Deux d’entre elles focalisent sans doute les plus importantes : la distance sociale, interdisant l’amour entre Julie et Saint Preux dans La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, l’ambiguïté psychologique, accumulant les mécompréhensions entre Manon et Des Grieux, dans Manon Lescaut de l’abbé Prévost. Deux figures que la littérature installe en icônes des difficultés relationnelles qui résonnent toujours au présent.

Georges Vigarello est historien, directeur d’études à l’EHESS, membre honoraire de l’institut universitaire de France. Derniers ouvrages : Le sentiment de soi, histoire de la perception du corps (Seuil, 2014) ; Histoire des émotions, dir. avec Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine (Seuil, 2016) ; La robe, une histoire culturelle (Seuil, 2017) ; Histoire de la fatigue : du Moyen-Âge à nos jours (Seuil, 2020).

Gwenaël Morin, metteur en scène

Il présente à la Semaine d’art en Avignon Andromaque à l’infini, d’après Jean Racine

« Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime son fils Astyanax et son mari Hector qui est mort. » L’intrigue est simple ! C’est une chaîne amoureuse à sens unique et sans issue. Entre affres et espoir, terreur et pitié, Racine instrumente les transports amoureux et les manœuvres politiques avec exubérance et malin plaisir. C’est au lendemain de la guerre de Troie, dans les ruines que s’enracine l’histoire d’Andromaque. Trois jeunes comédiens et un metteur en scène jouent à tour de rôle tous les personnages de la tragédie. Gwenaël Morin, habitué aux relectures insolites des grands classiques, adapte ce texte, en démonte la structure et joue des alexandrins pour en vivre la musique et la ponctuation. « Tout se reflète dans le théâtre de Racine, c’est un abîme infini ! ».

Après des études d’architecture, Gwenaël Morin se dirige vers le théâtre. En 2009, il expérimente aux Laboratoires d’Aubervilliers le « théâtre permanent » sur trois principes : jouer tous les soirs, répéter tous les jours, transmettre en continu. Il y a monté avec sa compagnie Woyzeck, Hamlet, Bérénice, Antigone… Il a dirigé le Théâtre du Point du jour à Lyon de 2013 à 2018 où il créé Les Molière de Vitez ou Les Tragédies de juillet.

Les nouvelles lois de l’amour

Marie Bergström, sociologue et chercheure à l’Institut national d’études démographiques

Match, Meetic, Tinder, Happn, Bumble… les sites et applications de rencontres se multiplient sur Internet. Apparus aux États-Unis au milieu des années 1990, ils se comptent désormais en milliers et leurs utilisateurs en plusieurs millions. Alors que les petites annonces, les agences matrimoniales et le Minitel rose ont toujours représenté une pratique marginale, leurs successeurs numériques ne cessent d’élargir leur audience. Comment expliquer ce succès ? comment les rencontres en ligne transforment-elles l’amour et la sexualité ? Ces services spécialisés ne suscitent-ils pas une privatisation de la rencontre ?

Marie Bergström est sociologue et chercheure à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Ses travaux portent sur la sexualité, le couple et le célibat, thèmes qu’elles étudie à l’aide de grandes enquêtes mais aussi du traitement de données massives issues d’Internet. Spécialiste des rencontres en ligne, elle mène depuis 10 ans une recherche sur les sites et les applications de rencontres dont les résultats ont été publiés dans Les nouvelles lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique, paru en 2019 aux éditions La Découverte. Elle est coordinatrice du projet « Les jeunesses sexuelles : inégalités, relations, appartenances – JEUNES », financé par l’ANR.

Genre et cognition : quand le stéréotype empêche de penser

Isabelle Régner, professeure de psychologie, Aix Marseille Université et Vice-Présidente Egalité Femmes Hommes et Lutte contre les Discriminations

La sous-représentation des femmes dans les filières et carrières scientifiques est un constat récurrent au niveau international. Problématique pour de multiples raisons, cette sous-représentation est au cœur du débat sur l’idée d’une infériorité des femmes dans les sciences dites « dures ». Depuis une vingtaine d’années, les travaux sur l’effet de menace du stéréotype ont permis d’apporter un nouvel éclairage sur les inégalités hommes/femmes en sciences en montrant comment les stéréotypes de genre peuvent conduire les filles et les femmes à produire des performances en dessous de leurs compétences réelles.

Isabelle Régner est professeure de psychologie, responsable de l’équipe Cognition et Neurosciences Sociales à Aix Marseille Université et Vice-Présidente Egalité Femmes Hommes et Lutte contre les Discriminations. Elle est coordinatrice du projet « Impact potentiel des stéréotypes du vieillissement sur l’évaluation des déficits mnésiques et le repérage de l’état prodromal de la maladie d’Alzheimer – Aging », financé par l’ANR.

Animation des échanges

Mireille Besson est directeur de recherche en neurosciences au CNRS, Aix-Marseille Université

Mireille Besson est directeur de recherche au CNRS et membre du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, CNRS et Aix-Marseille Université. Elle s’intéresse à la plasticité cérébrale et aux facultés d’apprentissage chez l’enfant et chez l’adulte. Elle étudie les relations entre cerveau, langage et musique, et notamment l’influence de l’apprentissage de la musique sur la perception du langage oral chez l’enfant. Elle a récemment testé l’impact du projet DEMOS mis en place par la Philharmonie de Paris sur le développement cognitif d’enfant issus de milieux modestes (Barbaroux et al, 2019. Music training with Démos Program positively influences cognitive functions in children from low socio-economic backgrounds. PLoSONE : 4(5):e0216874.https://doi.org/10.1371). Elle a été responsable du projet MUSAPDYS « Influence de l’apprentissage de la musique sur le traitement des aspects temporels du langage et sur la remédiation de la dyslexie », financé par l’ANR en 2011. Elle fait partie de l’Institut Convergence « Language and Communication in the Brain » d’Aix-Marseille Université, dirigé par P. Blache, projet financé dans le cadre des programmes d’Investissement d’avenir. Elle a présidé, co-présidé et participé à plusieurs panels d’experts de l’ANR et de l’ERC (European Research Council). Elle est membre du comité scientifique des Rencontres Recherche et Création. Elle a codirigé avec C. Courtet, F. Lavocat et A. Viala, Corps en Scènes (2015), Mises en intrigues (2016), Violence et Passion (2017), Le Désordre du monde (2018), Le jeu et la règle (2019), Traversées des mondes (2020) chez CNRS Éditions.

Clotilde Thouret est professeure de littérature comparée à l’Université de Lorraine

Clotilde Thouret est professeure de littérature comparée à l’Université de Lorraine (Nancy). Ses recherches portent sur le théâtre européen (les émotions esthétiques, les rapports entre théâtre et politique, les polémiques) et sur la bande dessinée (l’univers super-héroïque, les rapports entre littérature et bande dessinée). Elle est l’auteure de Seul en scène. Le Monologue dans le théâtre européen de la première modernité (Angleterre, Espagne, France ; 1580-1640) (Genève, Droz, 2010) et du Théâtre réinventé. Défenses de la scène dans l’Europe de la première modernité (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019). Elle a notamment co-dirigé Corps et interprétation (XVIe-XVIIIe siècles) (Rodopi, 2012, avec Lise Wajeman), et Théâtre et scandale (Fabula, Les colloques en ligne, 2019, avec François Lecercle). Elle est membre du comité scientifique des Rencontres Recherche et Création. De 2013 à 2018, elle a porté, avec François Lecercle, le projet « Haine du théâtre » sur les controverses sur le théâtre en Europe, dans le cadre du Labex Obvil, Université Paris-Sorbonne, financé dans les programmes des Investissements d’avenir.

Mélanie Traversier est historienne et comédienne, maîtresse de conférences à l’Université de Lille, membre de l’Institut universitaire de France

Mélanie Traversier est historienne et comédienne. Maîtresse de conférences HDR en histoire moderne à l’Université de Lille, membre de l’Institut universitaire de France, elle travaille sur l’histoire sociale du spectacle et l’histoire des femmes et du genre dans l’Europe des Lumières. Parmi ses publications : Gouverner l’opéra. Une histoire politique de l’opéra à Naples (1767-1815) (EFR, 2009) ; Musiques nomades : objets, réseaux, itinéraires pour Diasporas, 26/2015 ; Le Journal d’une reine (Champ Vallon, 2017). Récemment, elle a codirigé La musique a-t-elle un genre ? (Avec A. Ramaut, Éditions de la Sorbonne, 2019). Elle vient d’achever un ouvrage sur les rapports entre musique, sciences et techniques au XVIIIe siècle, à paraître au Seuil en mars 2021. Sur scène, on la retrouvera prochainement en compagnie de Christophe Brault. Elle est membre du projet « Enseigner la danse en France (XVIIe-XXIe siècles) – ENDANSANT » financé par l’ANR.